pour ne pas châtier les coupables,
on maltraitait les filles.
On alla même jusqu’à les tondre. »
Comprenne qui voudraMoi mon remords ce futLa malheureuse qui restaSur le pavéLa victime raisonnableÀ la robe déchiréeAu regard d’enfant perdueDécouronnée défiguréeCelle qui ressemble aux mortsQui sont morts pour être aimésUne fille faite pour un bouquetEt couverteDu noir crachat des ténèbres
Une fille galanteComme une aurore de premier maiLa plus aimable bête
Souillée et qui n’a pas comprisQu’elle est souilléeUne bête prise au piègeDes amateurs de beauté
Et ma mère la femmeVoudrait bien dorloterCette image idéaleDe son malheur sur terre.
Texte initialement publié in Les Lettres françaises du 2 décembre 1944, avec ce commentaire :
« Réaction de colère. Je revois, devant la boutique d’un coiffeur de la rue de Grenelle, une magnifique chevelure féminine gisant sur le pavé. Je revois des idiotes lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles n’avaient pas vendu la France, et elles n’avaient souvent rien vendu du tout. Elles ne firent, en tous cas, de morale à personne. Tandis que les bandits à face d’apôtre, les Pétain, Laval, Darnand, Déat, Doriot, Luchaire, etc. sont partis. Certains même, connaissant leur puissance, restent tranquillement chez eux, dans l’espoir de recommencer demain. »
in Au rendez-vous allemand, recueil de poèmes de Paul Eluard, 1944.
Publié clandestinement en 1944, ce recueil poétique de Paul Eluard (1895-1952) invite ses contemporains à se rebeller contre l’oppression de l’occupant allemand : il est l’un des plus représentatifs de la poèsie de l’engagement pendant la Seconde Guerre mondiale.
Sans faire de manières, le poète évoque la délivrance de la France dans une écriture incisive et efficace. Il exprime avec une intense détermination son refus de voir sa liberté ainsi que celle de ses « frères de l’ombre » mutilées.
Après la guerre, il aura jusqu’à sa mort en 1952 une activité militante. Ses derniers textes sont une réflexion sur la création poétique.
2 décembre 2004
Merci à tetue.net
Retour aux œuvres