14.2.09

Comprenne qui voudra

Poème de Paul Eluard - 1944

« En ce temps-là,
pour ne pas châtier les coupables,
on maltraitait les filles.
On alla même jusqu’à les tondre. »
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés

Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres

Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête

Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté

Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.


Texte initialement publié in Les Lettres françaises du 2 décembre 1944, avec ce commentaire :

« Réaction de colère. Je revois, devant la boutique d’un coiffeur de la rue de Grenelle, une magnifique chevelure féminine gisant sur le pavé. Je revois des idiotes lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles n’avaient pas vendu la France, et elles n’avaient souvent rien vendu du tout. Elles ne firent, en tous cas, de morale à personne. Tandis que les bandits à face d’apôtre, les Pétain, Laval, Darnand, Déat, Doriot, Luchaire, etc. sont partis. Certains même, connaissant leur puissance, restent tranquillement chez eux, dans l’espoir de recommencer demain. »

in Au rendez-vous allemand, recueil de poèmes de Paul Eluard, 1944.

Publié clandestinement en 1944, ce recueil poétique de Paul Eluard (1895-1952) invite ses contemporains à se rebeller contre l’oppression de l’occupant allemand : il est l’un des plus représentatifs de la poèsie de l’engagement pendant la Seconde Guerre mondiale.

Sans faire de manières, le poète évoque la délivrance de la France dans une écriture incisive et efficace. Il exprime avec une intense détermination son refus de voir sa liberté ainsi que celle de ses « frères de l’ombre » mutilées.

Après la guerre, il aura jusqu’à sa mort en 1952 une activité militante. Ses derniers textes sont une réflexion sur la création poétique.

2 décembre 2004

Merci à tetue.net

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